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Diggers, gratuité et autonomie. Petit note de synthèse pour y voir plus clair

Origine

Digger vient du verbe « to dig », qui signifie creuser, bêcher. Au XVIIème siècle, en Angleterre, des paysans s'élèvent contre les enclosures (qui permettent aux seigneurs féodaux de morceler et fermer les parcelles cultivables pour leur usage personnel) : ce sont les Diggers. Le nom de ces révoltés provient en fait de leur technique de résistance qui consistait à creuser le sol et à cultiver des potagers. Ils n’avaient plus de terres à cultiver et s’en sont donc appropriées pour pouvoir se nourrir. Ce mouvement fut, évidemment, violemment écrasé.

L'expérience des Diggers de San Francisco (1966-1968)

A l’origine, il y a une troupe de théâtre, la San Francisco Mime Troupe. C'est parmi ses membres et parmi les jeunes qui gravitent autour d'eux que se créera le groupe des Diggers en 1966. Le quartier emblématique de San Francisco où ils habitent, Haight Ashbury, est alors en pleine émergence du mouvement hippie. S'ils s’insurgent, comme les hippies, contre la guerre du Vietnam et le « rêve américain », par contre les Diggers déplorent le manque de conscience politique du mouvement hippie : eux souhaitent s’organiser pour construire un monde nourri d'aspirations libertaires. De même les Diggers rejettent les approches trop théoriques (cf, New Left, la nouvelle gauche apparue à l'époque), les batailles d'idées : ils veulent expérimenter l’organisation pratique collective et s’organiser dès maintenant pour vivre selon leurs idéaux. À leurs yeux, la révolution ne doit pas être remise à plus tard, elle peut se faire ici même.

Free Food

Cherchant une action exemplaire pour lancer leur dynamique, ils la trouvent dans l’idée d’organiser, chaque jour, une grande bouffe gratuite dans un parc (ils tiendront 8 mois !). Il s’agit d’abord de pallier à un problème criant qui se pose à la communauté : nombreux sont les jeunes du quartier d' Haight qui n’ont pas un rond pour se nourrir. Mais les Diggers ne veulent pas faire la charité, ils veulent inciter les gens à les rejoindre pour se réapproprier cette initiative — d’où le slogan : « c’est gratuit parce que c’est à vous ! » Il s’agit en effet de créer un espace où se rencontrer et s’organiser — et c’est bien ainsi que les Diggers vont devenir un véritable collectif. Enfin, il s’agit aussi de mettre en scène le rêve partagé d’une société où l’argent ne serait pas roi. Concrêtement, ils récupèrent – ou volent ! - au marché, aux halles, demandent gentiment aux marchands s’ils n’auraient pas quelque chose à leur donner. Ils se débrouillent. Ils recrutent aussi rapidement plein de gens qui ont envie de participer à l’organisation de la bouffe. Suivront d'autres expériences, outre des fêtes, des concerts gratuits, des actions dans les rues. Free Store Un magasin sera aussi créé où on peut y trouver de tout sans dépenser un rond, et dépasser les rôles stéréotypés du jeu marchand qui oppose clients et responsables (« si quelqu’un demande qui est le responsable, on lui dit que c’est lui »). Régulièrement fermés par les flics puis ré-ouverts ailleurs, les Free Store des Diggers seront aussi des lieux de réunion, des salles de projection, des dortoirs où les derniers arrivés pourront passer quelques nuits, ainsi que des lieux où consulter des avocats ou des médecins bénévoles (Free Doctor). Peu après, la Free Bank est mise en place (elle durera trois ans) : une caisse commune où l’on peut mettre de l’argent ou en prendre, en fonction des besoins. Alimentée par les membres du groupe ainsi que par des soutiens extérieurs. Pour inciter à la critique de l’argent, les Diggers organiseront aussi une grande parade intitulée « Mort de l’argent, naissance de Free ».

Ete 67... Free City Collective et fin des Diggers

La récupération par le système étant à l'oeuvre, l'été 67 devient le Summer of love. Rien d'excitant pour les Diggers qui ont toujours œuvré pour conscientiser les jeunes à autre chose que la fumette et les colliers de fleurs ! Les Diggers abandonnent leur nom pour celui de Free City Collective, élargissant leur action à la ville entière. En effet pour apporter des réponses concrètes et immédiates aux plus pauvres et aux opprimés, pour assurer une organisation pratique et quotidienne de la lutte, et pour créer des espaces autonomes, la ville, comme cadre et comme échelle prend toute son importance : “Le moment est donc venu de nous donner plus d'envergure et de nous atteler à la tâche de créer des Villes libres et gratuites dans les zones urbaines du monde occidental.”  Le groupe existe encore jusqu'au printemps 1968, puis décident de quitter la ville pour partir à la rencontre de groupes qui se sont installés en communautés à la campagne. Ce départ de la ville doit être compris comme un départ vers des lieux – moins urbain – où les aspirations autonomes seraient moins difficile qu'en ville. Si tous ne partent pas à la campagne, la plupart évolueront rapidement au niveau politique vers des revendications plus écologiques.

Des limites

Ce qui a finalement plus intéressé les Diggers, était la question de l'autonomie plus que celle de la gratuité. La critique principale qu'on peut formuler aux zones de gratuités, c'est qu'elle n'existerait pas sans les rebuts ou les déchets du système marchand. Le thème de la gratuité ne doit pas occulter la question de la production, de ses moyens et de ses fins. Ainsi la question primordiale semble être moins la question de l'accès (payant ou gratuit), que ce qui empêche de construire l'autonomie, soit le système techno-industriel de croissance et ses marchandises.

Ressources

Le jeu comparatif et post-compétitif de la ville libre et gratuite. Texte considéré comme le testament politique des Diggers ; à lire sur les archives consacrées au groupe

Lecture

  • Alice Gaillard, Les Diggers. Révolution et contre-culture à San Francisco (1966-1968), éditions de L’Echappée, Montreuil, 2009.
  • Emmett Grogan, Ringolevio, une vie jouée sans temps mort, éditions Gallimard, Paris, 1998.
en_debat/diggers_gratuite_et_autonomie._petit_note_de_synthese_pour_y_voir_plus_clair.txt · Dernière modification: 2012/10/22 14:33 par Olivier